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Le projet radiophonique et éditorial « les cailloux meurent aussi » de l’artiste pluridisciplinaire Mathilde Schoenauer Sebag sera présenté à la 9ème édition du UK international radio drama festival, basé à Canterbury dans le Kent en Grande-Bretagne (organisé par International Arts Partnership). L’occasion de revenir sur ce projet au long cours produit par Transcultures (soutenu par le Fond de la Création Radiophonique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et accompagné par l’ACSR (Atelier de Création Sonore Radiophonique).

A lire aussi l’article « La chimie sonore de Mathilde Schoenauer Sebag » de Jacques Urbanska paru dans le magazine Turbulences Video #118 (Fr) »

Le point sur le projet

Jacques Urbanska : Comment s’est déroulé ta dernière période de travail sur le projet ?

Mathilde Schoenauer Sebag : La première écoute publique des cailloux était le 30 juin 2022 (c’est un détail, mais le mixage s’est fini le jour de mes 30 ans, le 23 juin 2022 !)

Depuis, cet objet sonore qui n’est, pour moi, ni un documentaire ni une fiction, mais plus une fiction documentée, a rencontré un accueil enthousiaste. Il y a eu 4 écoutes publiques (espci, festival fariboles, la vieille chechette et l’ADES), 4 diffusions radio (dont j’ai eu la connaissance) et 2 écoutes publiques dans un futur proche (UCLouvain et librairie par chemins).

il fera l’objet d’une intervention dans le master journalisme scientifique (Université Paris Cité) le 21 mars.

En ce moment, j’essaye également de le diffuser dans des milieux académiques scientifiques : si le propos est assez entendable aux oreilles de personnes qui ne font pas de sciences, je me demande comment il pourrait être accueilli dans des milieux scientifiques. Faire parler les atomes, est-ce profane ? La rencontre avec les étudiant.e.s de l’espci, école d’ingénieur parisienne ou j’ai fait mon doctorat, a nuancé cette réponse. La vérité, c’est que la plupart des chimistes sont “des animistes modernes”. On donne toustes des petits noms aux molécules !

Je souhaite donc lui faire poursuivre sa route dans des milieux académiques.

Il n’a pas été sélectionné (pour l’instant) a Phonurgia Nova ni à Longueur d’Onde, où j’avais une autre pièce sélectionnée (censure! la violence des femmes chapitre 1), mais vient d’être sélectionné a UK Radio Drama Festival, fin mars 2023, à Canterbury. Il sera écouté et il y a également (j’imagine) une compétition.

J.U. : Avec qui as-tu travaillé, collaboré ?

M.S.S. : J’ai travaillé avec trois preneureuses de son (Jeanne Debarsy, Emmanuel Botteriaux, Aurélien Lebourg), avec Rémi Girard au mixage. Ce travail en particulier me paraît très important et rend le propos tenu beaucoup plus précis, de manière subtile et sensible.

A l’interprétation des atomes, il y a Audrey Esnault et François Ischia, on a travaillé de manière assez particulière, j’ai testé des dispositifs d’enregistrements dans lesquels je les laissais seul.e avec un micro, pour qu’iels puissent se confier.

J’ai aussi compté sur les corrections des propos scientifiques que je ne maitrise pas (en particulier la nucléosynthèse – la naissance des atomes dans les étoiles – par Ileyk El Mellah, et la fabrique des gisements est issu d’une ITW que j’ai faite de Matthieu Chassé. Enfin, et je n’ai malheureusement pas beaucoup gardé, mais j’ai mené deux ITW avec des anthropologues qui travaillent avec des populations colombiennes qui vivent dans des systèmes animistes. Ana Maria Lozano Riveira en particulier, travaille avec les Kogis, et son regard sur leur rapport aux objets minéraux était éclairant. J’ai le sentiment qu’un rapport animiste avec la matière minérale est moins courant qu’un rapport animiste avec les végétaux ou animaux non humains, donc croiser la route des Kogis a déplacé ma compréhension du mode de relations qu’on peut engager avec la matière minérale, et ce rapport là a finalement été ce que j’ai essayé de défendre.

La création sonore est issue d’improvisation harpe/flute, en lien avec le projet d’improvisation musicale « du raifort dans mon ciboire » que j’ai avec le flutiste François Ischia.

J.U. : Comment s’est déroulée la partie éditoriale du projet ?

M.S.S. : J’ai travaillé avec Juliette Damien, artiste graphiste et physicienne, à la fabrication d’un livre qui complète le propos tenu, sur un mode plus informatif et militant. Les chiffres, les chroniques d’une COP annoncée, le “je”. On a tout fait en 3 mois, écriture, impression, reliure, c’était intense et exaltant. Il est en vente dans 5 librairies en France et Belgique et je cherche en ce moment à le faire rééditer car les 300 exemplaires sont bientôt expirés !

J.U. : Qu’est-ce que l’ACSR, comment soutient-t-elle les projets et ton projet en particulier ?

M.S.S. : L’ACSR est une structure un peu magique. Elle est formée de 5 personnes. Elle aide les jeunes auteurices à écrire leurs projets, elle soutient la réalisation, prête du matériel de prise de son, des studios de montage, de mixage, organise des formations à prix très abordables pour avoir des bases dans les métiers de la radio qu’il est bon de connaitre quand on se lance dans la réalisation. Prête ses oreilles pour des écoutes critiques. Elle aide à la diffusion et envoie les pièces qu’elle soutient à différentes radio et festivals. J’ai débarqué un peu comme une fleur et je me suis sentie à ma place.

J.U. : Quelle est la suite du projet ?

M.S.S. : Les cailloux meurent aussi avait été écrit pour comporter deux parties supplémentaire qui ont du être abandonnées pour gagner en clarté.

D’une part, le lien entre entropie et économie : le fait que les économistes qui travaillent à comprendre les logiques d’extraction oublient souvent les limitations physiques des matériaux qu’ils considèrent (cette considération est présente dans le travail d’Olivier Vidal, en particulier).

D’autre part, le lien entre extractivisme et néocolonialisme : comment l’extraction minière baigne dans le rapport de domination des pays du Nord Global sur ceux du Sud Global. Les mines congolaises, rwandaises, mozambicaines… sont détenues par des compagnies irlandaises, australiennes, chinoises, anglaises… Et ce rapport unilatéral là est directement hérité de l’histoire coloniale de ces pays. Sans colonie, nos iphones coûteraient 10000 euros. Parce qu’on devrait payer les gens décemment, on devrait payer les “externalités négatives”, c’est a dire pour tous les dommages environnementaux causés par l’extraction. Bref. Notre train de vie occidental et le confort associé baignent dans l’histoire coloniale.

Cet été, avec mon amie Eloise Bodin, environnementaliste et réalisatrice d’un documentaire radiophonique sur les luttes écoféministes au Chili, je pars au Mozambique pour enregistrer le matériau qui nous servira à réaliser un documentaire radio sur ces questions. Le projet est au stade de recherche. Il fait partie des 18 projets sélectionnés (sur les 800 projets reçus) par le concours Pod’Casting de Radio France. Nous allons donc aller le pitcher le 31 mars à la Maison de la Radio, à Paris.

Mathilde Schoenauer Sebag (Fr/Be)

Une formation d’ingénieure chimiste a conduit Mathilde Schoenauer Sebag a effectué un doctorat en sciences des matériaux sur les panneaux solaires à l’ESPCI, l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris.

La science occidentale moderne, tantôt faussement neutre, tantôt empreinte d’un discours désuet sur le progrès technologique, complètement décalé par rapport aux réalités environnementales et sociales, l’a vite déçue.

Elle a cherché un espace ou ses convictions et l’urgence de leurs expressions entreraient en résonance. Aujourd’hui, c’est avec plaisir qu’elle évolue entre la création sonore, le spectacle vivant, l’enseignement et l’activisme.

duudinka.com

Infos

Production

  • Transcultures, ACSR
  • Le projet a bénéficié du Fonds d’aide à la création radiophonique –  service général de l’Audiovisuel et des Médias – Fédération Wallonie-Bruxelles
  • Avec le soutien des Pépinières Européennes de Création et du label Transonic
  • acsr.bepepinieres.eutransonic.be