Cette ex/position est née de la volonté d’associer, dans une même dynamique et un même espace/temps, les dimensions recherche/sciences (le colloque TEXTE [S-oN] IMAGE 7) et création/arts. Elle regroupe une sélection d’œuvres multi/inter-médiatiques qui met en lumière une hybridité des pratiques, des imaginaires et des formes. Celles-ci sont la (im)matérialisation de différentes « écritures numériques » mais aussi d’esthétique(s) au sens où le philosophe Jacques Rancière l’entend c’est-à-dire « une théorie de l’art qui le renverrait à ses effets sur la sensibilité, un régime spécifique d’identification et de pensée des arts : un mode d’articulation entre des manières de faire, des formes de visibilité de ces manières de faire et des modes de pensabilité de leurs rapports, impliquant une certaine idée de l’effectivité de pensée. » (Jacques Rancière, Le partage du sensible, La Fabrique éditions, 2000). Il s’agit donc de se situer « au-delà des débats sur la crise de l’art ou la mort de l’image qui rejouent l’interminable scène de la fin des utopies » pour « partager du sensible » ce qui, pour Rancière, implique une certaine (re)distribution des possibles. Ce sens/ible qui ne doit pas oblitérer la pensée est aussi celui de l’ouverture des alter perceptions qui font rhizome et ligne de fuite. Husserl nous rappelle que « le concept phénoménologique de sens se définit depuis son attache structurelle à la sensibilité, contre la thèse de son autonomie. Le sens n’est donc pas d’abord un phénomène de connaissance, ni un phénomène de langage, mais un phénomène sensible : un contenu de perception, propre au rapport que le corps sentant entretient au monde senti » (Extrait du texte de présentation de Paula Lorette, La sensibilisation du sens. De Husserl à la phénoménologie française, éditions Hermann, 2021), replaçant ici aussi la corporéïté au cœur de nos intersubjectivités et de nos alter egos.
Cette question dans son hypermédiatité créative est ce qui nous anime dans les mutations accélérées des cultures et des arts numériques. Nous laisserons aux manifestations du « Grand Spectacle » qui s’est emparé des technologies et des imaginaires numériques pour produire des « shows » et des « environnements » qui saturent les sens sans, trop souvent, en générer. Notre désir ici est de présenter dans différents espaces du Centre d’Art et de l’Ecole d’Art de Tétouan des œuvres (certaines sont des créations, la plupart n’ayant jamais été montrées à Tétouan ou au Maroc) directement ou indirectement participatives qui sont autant de croisements, de rencontres, de décalages aussi qui s’inscrivent dans un contexte pour le mettre en perspective et l’augmenter. Nombre de projets dans la bonne vingtaine sélectionnée (chacune ayant un lien particulier avec des intervenants ou structures associés au colloque) ici explorent ce que Marc Veyrat nomme l’eSPACE « à la fois lieu hybride et nouveau territoire, un entre-espace constitué d’une infinité d’espaces à réalités mixtes » (Extrait de l’argumentaire du colloque L’Art et les Cartographies sensibles : la question des interfaces dans les réalités mixtes, organisé par Carole Brandon et Marc Veyrat les 11 et 12 mai 2020, Centre de Congrès de Chambéry, Le Manège). La particularité de l’eSPACE (au-delà de son écriture même qui propose bien un point de scission dans des emboîtements) demeure les stratifications, parce que « la réalité mixte forme un composite spatial fait de l’hybridation d’un espace physique et numérique. L’espace de la réalité mixte n’est pas l’addition d’un espace physique et d’un espace digital, mais le vortex qui naît des flux interactionnels générés par les rencontres entre individus. » (Citation tirée de l’argumentaire du colloque L’Art et les Cartographies sensibles : la question des interfaces dans les réalités mixtes (op.cit.) empruntée au sociologue Jean-François Lucas).
Multiplication, augmentation, ramification, sédimentisation, fractalisation… et ici plus encore inter/trans-connections des dimensions et des macro/micro univers devenant, ce que Carole Brandon nomme des « entre-espaces » flottants, multiformes, qui « donnent une résistance, une respiration aux lissages médiatiques, aux aplatissements des images désormais sur les réseaux sociaux » (Philippe Franck, Carole Brandon, entre-espaces et dispositifs hypermédia, Turbulences Vidéo, n°118, janvier 2023, p. 106). Plusieurs projets intègrent dans leur processus l’Intelligence Artificielle qui est associé à la quatrième révolution industrielle, celle du passage à des systèmes de production dits « intelligents » et connectés qui a été rendu possible l’évolution accélérée des technologies numériques. Là encore, l’Art – « humain trop humain » – nous semble un aiguillon particulièrement intéressant pour interroger les différents usages et enjeux de cette IA qui bouleverse tant le champ créatif que scientifique ou encore pédagogique, mais aussi pour l’intégrer, la détourner (elle aussi) dans le domaine du poétique, de l’intuitif, de l’indéfinissable…et d’une essentielle indisciplinarité qui lui fait encore défaut. Dans leur diversité, ces installations, performances, dispositifs en réseau, applications…sont aussi autant de « cartographies sensibles » dont les données sont non pas quantitatives, objectives mais avant tout qualitatives, émotionnelles, subjectives. Ils constituent un spatium ouvert, traversé et modelé par des affects, des topos/graphies sensibles et du sensible. « Le projet de la carte sensible (…) bouscule l’idée que la science est hermétique à l’art et vice-versa : elle ouvre une brèche pour sonder leurs accointances » (Elise Olmédo, Cartographies sensibles, émotions et imaginaire, publié le 19 septembre 2021 sur le site visiocarto.net).
La carte sensible permet à la cartographie d’avoir un ancrage dans l’espace tant vécu qu’imaginé. Elle propose d’autres modes expérienciels/expérimentaux et de représentation là où ceux plus classiques négligent ces intersections/extensions, convergences entre des apports et interrogations tant artistiques que scientifiques qui nourrissent l’interzone de notre futur immédiat.
Programmation
- ARVERS Isabelle (FR), « Liquid Forest » (machinima)
- BAHLAOUHANE Salma + LAYOURA Mikael (MA), « Cellule 20{23} » (VR)
- BARDAKOS John (GR/FR) + APOSTOLOU Malvina (GR/FR) + BAO Lixin/Mujin (CN) , « Poïesis », (VR, Sonore, Mode)
- BOISNARD Philippe (FR), « Désolation 1 & Lworld » – « OUTLAND », « In the middle of latent space », « Latent Body », « It hands » (IA, RA, video)
- BRANDON Carole + MÉGER Nicolas (FR), « Chromatopsy Forest » (IA, VR)
- BRANDON Carole + LE COARER Gaëtan (FR), « Denatura Erratum » (IA, VR)
- CHATELET Claire (FR), « Urban Mediterranean Memories » (IA, Impression)
- CHEN Chu-Yin (TW/FR), « Image de la Mémoire Artificielle » (IMA), (IA, RA)
- ESAAIX INBA (FR), « Atelié Croisé » (AV,RA)
- EL IDRISSI Youssef (MA), « ON SPACES & SPECIES 4’7 », (AV)
- GHABTE Kamel (MA), « Le Cube Augmenté / Ondulations Atmosphériques de Tétouan » – (Data Generative Art, IA, Installation)
- FRANCK Philippe + VEYRAT Marc (BE/FR), « Vox e-Poetics » (Performance AV)
- VEYRAT Marc (FR), Monde 6 « MATIN LUMINEUX » (XR)
- VSS (ZREIK Khaldoun, RIGOUDY Rudy, Paradise Now – FR/BE/SY) « Masda » (vidéo)
- REYES MONREAL Marleni (ES), « Faces » (IA, Interactivité)
- Sélection vidéo Transcultures/Pépinières européennes de Création : Christophe Bailleau (FR/BE) « Welcome/Abandon », Fred Chemama (FR) « Le bateau dans le grenier », Glasz DeCuir (ES) « Renata K in Transonic Second Life » Isa*Belle + Paradise Now (FR/BE) « Nunchi », Petermfriess (DE) « Mars Abstraction S3 », Rafael (BE) « A propos de Marie G », Alain Wergifosse (BE) « Flux & Densités » (Vidéo)
- Paradise Now (Philippe Franck – FR/BE) featuring Isa*Belle (FR/BE) & Régis Cotentin (FR), “Sonic Dreams” (AV performance)
Infos
- 24.11 > 31.12.2024
- Opening + Performance d’ouverture le 24.11.2024 | 17:00
- Institut National des Beaux Arts + Centre d’Art de Tétouan
- HJC8+9GH, Tétouan, Maroc
- Entrée libre
- facebook.com/inbart.org
Production
- Dans le cadre du 7e colloque international TEXTE [S-oN] IMAGE
- Ministère de la jeunesse, de la Culture et de la Communication, Institut Français du Maroc – Université Paris 8 - CiTu-Paragraphe – Institut National des Beaux Arts de Tétouan (INBA) – Transcultures – Pépinières Européennes de Création – Gercy Paris Université
- Commissaires artistiques : Mikael Fetri Daoudi (INBA, Tétouan), Mouad Meziaty (Institut Français du Maroc, Rabat), Philippe Franck, Paragraphe, Université Paris 8 |Transcultures |PEC, France-Belgique.