Ces dernières années, les Pépinières européennes ont mis l’accent sur la dimension relationnelle (au sens large, quand des projets artistiques transitifs facilitent ou provoquent d’autres rapports entre plusieurs champs, groupes et individus dans une optique inclusive et participative) qui nous semblait – et nous semble encore- essentielle dans les développements artistiques et culturelles contemporains.
La pandémie du Covid19 qui a frappé la planète et a également un impact important et très concret sur les artistes et les professionnels de la culture, nous pousse à questionner, plus avant, nos modes de création, diffusion et collaboration.
« La résidence » est non plus partagée physiquement mais virtuellement (ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas bien réelle) à partir d’un espace qui se révèle paradoxalement intime mais aussi ouvert aux autres et au monde, un espace qui est ce qu’on appelle communément le “ chez soi”. La mise en œuvre de cette nouvelle forme de représentation publique via les réseaux devenus, pour le coup, plus sociaux ou, à une échelle plus restreinte, dans une proximité de quartier, prouve que nombre d’artistes ont généreusement montré d’emblée qu’ils refusaient de mettre leur créativité en quarantaine.
Les Pépinières Européennes de Création, reprenant en 2018, avec une nouvelle direction, le riche héritage des Pépinières européennes pour jeunes artistes, ont favorisé les échanges internationaux mais aussi intermédiatiques en intégrant pleinement la dimension numérique. Celle-ci va maintenant être, pour nous, aussi l’espace de nouveaux appels qui vont être lancés prochainement sous la coupole de notre programme “Creaconnections”.
Pour notre premier appel à projets : “NoLA – No Lockdown Art”, plusieurs auteur(e)s de différents pays ont été sollicités pour nouer avec nous une correspondance poétique en ligne dont nous dévoilerons les résultats à la fin du confinement. Une commande a été passée à l’artiste Ludovic Emery pour son projet sonore Travel without moving!, ou comment voyager sans se déplacer… un montage sonore de field recording réalisé durant les voyages, balades et explorations de sites… Les Pépinières sont également associées à l’appel “Fenêtres d’écoute/Listening windows” initié par Gilles Malatray (desartsonnants) qui a déjà reçu des dizaines de contributions destinées, à terme, à être revisitées par des artistes sonores et compositeurs aventureux.
Nous lancerons ensuite un programme intitulé “Tomorrow Today” invitant créateurs mais aussi penseurs à nous envoyer le fruit de leur regard sur ce qui est qui déjà en marche après cette parenthèse confinée et qui, nous l’espérons, nous poussera à affronter de manière responsable et donc engagée les grands défis de notre anthropocène galopante.
Enfin, nous sommes en train de constituer un catalogue en ligne avec notamment une série de vidéos ou œuvres numériques soutenues par les Pépinières. En guise d’apéritif, et dans le cadre de NoLA, nous diffusons le vidéo-poème finalisé pendant le confinement par l’artiste multimédia belge Tamara Laï, ainsi que la dernière édition du cadavre exquis vidéographique Volume #7, coordonné par la créatrice/curatrice brésilienne Kika Nicolela réunissant des dizaines d’artistes internationaux.
Tout cela nécessite outre une veille permanente et un grand investissement de l’équipe des Pépinières (et, plus largement, de l’association Transcultures Europe) de croiser les ressources et les relais contributifs.
Cette étrange et triste période nous invite à nous recentrer et à redécouvrir – pour certains – le plaisir d’une certaine lenteur attentive auprès de nos proches. Mais ce qui nous apparaît comme une véritable crise existentielle planétaire de fond, en appelle aussi à notre vigilance sur les espaces de liberté potentiellement menacés ainsi que sur la primauté aux solidarités de tout type sur les replis et les peurs. Elle peut aussi, si nous avons la sagesse et le courage d’en intégrer, sans complaisance, les enseignements, être l’augure d’une nouvelle ère qui prendrait tant la mesure de l’urgence que de la durée, d’un présent pleinement vivant et conscient qui fort des leçons du passé, se montre aussi susceptible d’anticiper l’avenir.
Notre mission première en ces temps mutants et exigeants, est de soutenir les créateurs dans leur essentielle indiscipline à concevoir, produire, diffuser, expérimenter des œuvres et des projets collectifs susceptibles de nous ouvrir l’horizon au-delà des flammes apocalyptiques. Aujourd’hui, plus que jamais, ils ne peuvent faire l’économie d’une « ré-écriture de soi » indissociable d’un humanisme du soin connecté tant à la multiplicité de nous-mêmes et des autres qu’à notre amor mundi.
Philippe Franck,
Directeur général et artistique